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L’émerveillement, une invitation à retrouver son âme d’enfant

20.03.2019 – Par Anne-Clotilde Grivet Sebert

Au quotidien, nous entendons les termes de « vitesse », « efficacité », « productivité », tous plus angoissants les uns que les autres. La qualité de notre vie semble être estimée par le métier que nous pratiquons, la productivité à rapidement faire les choses aux dépens de la qualité parfois. Ainsi, si vous allez vous promener dans un jardin, si vous restez simplement chez vous à penser, méditer, n’avez-vous pas le sentiment de ne servir à rien ? « Servir » comme si tout se mesurait à l’utilité mais qu’est-ce qu’être utile ? Si nous nous réduisons à des êtres devant effectuer les tâches qui nous sont confiées sans jamais accorder de l’importance à l’expérience de la pensée alors nous allons droit dans le mur.

Je vais vous raconter une petite anecdote qui m’a inspirée ce thème de l’émerveillement. Un matin, alors que je me dirige vers le métro pour aller travailler, voilà que le panneau d’affichage indique que le trafic est totalement interrompu sur la ligne que je prends habituellement (d’ailleurs, oui nous avons tous nos petites habitudes et nous n’aimons pas les changer car nous n’aimons pas l’imprévu, nous n’aimons pas perdre le contrôle de nos vies !). Voilà que la journée commence mal et que ma bonne humeur en prend un coup. Une fois en route pour un nouvel itinéraire, j’effectue mon changement place de la Concorde et là, à ma plus grande surprise, je m’arrête devant cette magnifique place baignée de soleil. Je m’émerveille littéralement devant Paris qui s’éveille et prends alors conscience de la beauté de Paris, de la beauté du soleil qui se lève tous les matins tout simplement. Il m’a suffi de ce rayon de soleil pour me rendre compte que trafic perturbé ou non, le monde continue de tourner et surtout que nous nous préoccupons de choses bien trop futiles. Dans nos vies, résonne la phrase « Y a pas le temps... » déclinée à toutes les sauces mais n’est-ce pas plutôt que nous ne prenons pas le temps ?


Et vous, vous est-il déjà arrivé de vous émerveiller, d’éprouver un sentiment d’étonnement ? Oui je n’en doute pas surtout quand vous étiez enfant ! Mais si vos souvenirs d’émerveillement remontent à votre enfance, cet article devrait vous permettre de vous « ré- émerveiller » à condition de donner à votre esprit une certaine disposition.

Dans le langage courant, on dit « être frappé d’émerveillement » et le sens littéral est intéressant. Cela montre bien que c’est quelque chose d’inhabituel, d’extérieur à soi qui provoque en nous le sentiment d’émerveillement couplé à un sentiment d’étonnement positif. D’ailleurs, « émerveillement » vient du latin « mirabilia » qui signifie merveille et du préfixe « ex » qui vient dire la cause extérieure qui provoque l’émerveillement. En général, l’expression du visage qui symbolise l’émerveillement est une grande bouche ouverte avec des yeux écarquillés car il nous arrive quelque chose d’extra-ordinaire. Etonnement, surprise sont autant de termes qui illustrent l’émerveillement. Si l’on reprend l’expression courante « être frappé d’émerveillement », on voit que le verbe pronominal signifie un état dans lequel l’homme est passif puisqu’il est vrai qu’en état d’émerveillement, l’homme perd en quelque sorte le contrôle de sa vie car il est face à l’incertain, à l’imprévisible. Mais en réalité, l’homme n’est pas véritablement passif dans la situation d’émerveillement, il a aussi son rôle à jouer !

En fait, depuis quand n’avez-vous pas été émerveillé ? Rappelez-vous le petit enfant que vous étiez : vous vous émerveilliez sûrement bien plus que maintenant. Car oui, tout était nouveau et par conséquent, il y avait plus d’occasions de s’émerveiller et puis, l’enfant ne se tracasse pas pour les petites choses du quotidien. Finalement, l’enfant accueille la vie telle qu’elle est et vit au jour le jour. Là se cache peut-être l’un des trésors permettant de s’émerveiller : ne pas être nostalgique en ressassant le passé, ne pas s’inquiéter du futur mais vivre pleinement l’instant présent. La figure de l’enfant symbolise parfaitement l’émerveillement, son innocence loin d’être handicapante contrairement aux idées véhiculées à notre époque est source d’émerveillement. En reconnaissant que l’enfant est le premier à s’émerveiller, on voit que l’émerveillement est le propre de l’humain. Dans L’Evolution créatrice de Bergson (1907), celui-ci montre que la vie est une création continue. Ainsi, quel que soit votre âge, votre vie est source de création. La vie est animée par une force créatrice appelée « l’élan vital ». Vivre, c’est aller à la rencontre de l’imprévisible, de la nouveauté et c’est ce qui fait de notre vie un éternel recommencement. L’émerveillement est comme le fruit de cet élan vital.

Parler de « source d’émerveillement », voilà qui est intéressant, ne sommes-nous pas à la source de notre propre émerveillement ? En effet, l’émerveillement est assez subjectif, on ne s’émerveille pas tous de la même chose. Certes, certaines choses provoquent en général de l’émerveillement comme les sept merveilles du monde par exemple qui, par leur dénomination même, indiquent leur beauté, source d’émerveillement. Mais étant donné que l’on peut s’émerveiller de choses insignifiantes à première vue comme le soleil place de la Concorde, il y a tout de même une part de subjectif. Je ne m’émerveille pas de la même chose suivant qui je suis, ce que j’ai vécu... On peut faire la comparaison avec le rêve qui, lui aussi, dépend du vécu et des souvenirs de chacun. Et comme le rêve, l’émerveillement est à la fois état (émerveillement) et action (s’émerveiller) que notre conscience réalise. C’est quelque chose d’extérieur à moi qui m’émerveille mais si je suis complètement blasé de la vie et que je ne vois que le négatif alors je ne m’émerveillerai jamais car je n’y serai pas disposé. On touche ici au cœur du sujet : comment s’émerveiller ? comment être à la fois spectateur ET acteur de son émerveillement ?

S’émerveiller, c’est accepter de perdre un peu le contrôle de sa vie, de se laisser aller et surprendre. L’émerveillement est un sentiment incontrôlable au sens où je ne peux pas prévoir ce par quoi je vais être émerveillé bien qu’il arrive que je sois émerveillé face à quelque chose que je connais déjà. Je peux m’émerveiller à plusieurs reprises devant un paysage de montagne, de la musique mais même si le sujet est identique, la situation dans laquelle nous vivons l’émerveillement sera toujours différente : le temps ne sera pas le même, nous n’aurons pas le même âge et nous aurons donc vécu des choses différentes entre les deux moments. Mais si nous en restons à nous dire que l’émerveillement est incontrôlable, que tout provient de l’extérieur, cela est bien triste car cela signifierait que nous ne sommes en rien acteurs de nos vies alors qu’en réalité, une certaine disposition de l’esprit est nécessaire pour s’émerveiller (vous remarquerez que j’utilise volontairement le verbe « s’émerveiller » et non « être émerveillé »). Faire et vivre l’expérience de l’émerveillement, c’est façonner son esprit de telle sorte qu’il soit disposé et qu’il se rende disponible à l’autre que soi pour donner toute sa place à l’émerveillement. Tel un sculpteur, il nous faut prendre le temps (cela implique de ralentir la cadence de nos vies) de donner forme à notre esprit pour qu’il puisse recevoir ce qui lui vient de l’extérieur.

Ainsi, en devenant acteur de l’émerveillement, l’on est même capable de convertir cet acte/état en acte raisonnable permettant une prise de conscience. Si l’on devient pleinement conscient de sa situation, on peut avec du recul analyser ce qui nous a émerveillé pour apprendre à mieux se connaître, à savoir ce qui est important pour nous et qui nous plaît : l’émerveillement comme prise de conscience intérieure. Toute notre personne, notre vie étant tournée à la fois vers l’intérieur et l’extérieur, il s’agit également de faire naître une prise de conscience extérieure. Par exemple, contempler une des sept merveilles du monde peut permettre une prise de conscience écologique en nous invitant à nous battre pour la sauvegarde de notre patrimoine à la fois architectural et naturel. Il s’agit de s’émerveiller intérieurement et d’agir pour que l’émerveillement puisse persister au cours des générations futures et qu’il puisse déjà tout simplement devenir plus habituel dans nos vies en insufflant aux autres cet état d’esprit.

L’émerveillement est une philosophie de vie qui aide à vivre mieux et positivement. Il appelle à s’arrêter devant la beauté, à faire une pause en se recentrant sur soi-même à une époque où tout va vite et où notre téléphone devient le centre de toute notre attention. N’est-ce pas plus agréable d’aller marcher à la découverte de nouveaux quartiers, paysages que de se contenter de faire défiler des photos souvent impersonnelles sur les réseaux sociaux ? Le virtuel n’émerveille pas, il donne simplement une impression de s’évader. S’émerveiller n’empêche pas tout de même de voir la réalité des choses parfois très éprouvante : pensons aux catastrophes naturelles, aux situations politiques semant le chaos dans des pays, aux personnes souffrant de pathologies. Il ne s’agit pas de se voiler la face ou d’être un optimiste naïf mais simplement, de savoir saisir les occasions qui nous permettent de nous émerveiller et de reprendre goût à la vie, d’être un optimiste réfléchi en somme. S’émerveiller, c’est savourer l’instant présent précisément parce que l’on ne sait pas de quoi sera fait demain. Tant de situations nous inquiètent qu’il faut savoir reconnaître quand cela va bien en disposant notre esprit à s’émerveiller même des choses qui paraissent insignifiantes. En fait, l’émerveillement est un souffle de vie qui redonne espoir.

Si l’émerveillement est une invitation, un appel à retrouver l’innocence de son enfance en réapprenant à vivre intensément sa vie même dans ses plus petits détails, cela demande un effort comme l’indique le terme « réapprendre » car l’esprit doit s’y disposer. Accepter de faire l’effort, c’est aussi faire preuve d’humilité en reconnaissant sa petitesse face au monde qui nous entoure. Remarquez que lorsqu’un enfant s’émerveille, il regarde généralement en direction du ciel car il s’émerveille de ce qui le dépasse. Socrate disait justement que « la sagesse commence dans l’émerveillement », il s’agit ensuite de poursuivre dans cette voie en prenant du recul face à ce qui nous a émerveillés pour pouvoir revivre des expériences d’émerveillement et en faire vivre aux autres.

Des études scientifiques montrent que l’émerveillement possède des vertus et avantages psychologiques et qu’il aide à être heureux. D’ailleurs, l’équipe de recherche dirigée par Paul Piff, psychologue et chercheur au Département de psychologie de l’université de Berkeley (Californie) a testé l’hypothèse selon laquelle l’émerveillement entraînerait une réduction de l’individualité et de l’apitoiement sur soi et renforcerait ainsi un comportement pro-social. Cette hypothèse a été vérifiée puisque les personnes ayant développé la capacité de s’émerveiller sont plus enclines à aller vers l’autre, à faire preuve de générosité. Et cela s’expliquerait notamment par la prise de conscience de sa petitesse face au monde qui nous entoure.

Alors ne soyons pas de simples spectateurs du monde qui faisons notre métier de manière automatique mais prenons le temps de nous rendre présents au monde et d’aider les autres à l’être également. La psychologie positive s’attache justement à analyser ce qui rend les hommes heureux, optimistes pour déployer ses sources et permettre à chacun de se donner les moyens de vivre mieux. Faites le test au travail, avec vos amis... : en donnant des occasions de s’émerveiller (lecture d’un poème, contemplation d’un tableau) ou simplement, en faisant remarquer des phénomènes (lever du soleil), l’ambiance n’en sera que meilleure et ce sera un premier pas vers le bonheur en goûtant à la vie telle qu’elle se donne. L’émerveillement deviendra ainsi une joie communicative et tissera du lien entre les hommes.

Disposons notre esprit à l’émerveillement afin d’être à la fois acteur et spectateur, provoquons l’admiration et admirons. Etre disposé et se rendre disponible, tels sont les maîtres-mots pour s’émerveiller et pour bien vivre en général, il s’agit d’accepter ce que je ne maîtrise pas et de se poser pour recevoir l’Autre.
Cessons d’être obnubilés par les ondes négatives produites par nos téléphones portables, attachons-nous plutôt à transmettre des ondes positives !
S’émerveiller, c’est retrouver son âme d’enfant tout en la dépassant et c’est dans ce dépassement (prise de conscience, disposition de l’esprit) que réside la sagesse de l’émerveillement : apprendre à se laisser surprendre par les belles choses sans nier la réalité du monde. Ainsi, l’on peut dire à la manière de Michael Edwards qu’« il n’y a rien de plus adulte ni de plus sérieux que de s’émerveiller ». Ce poète et membre de l’Académie Française écrivait en 2008 dans De l’émerveillement :

“Au lieu de supposer que l'émerveillement est le propre des enfants et des ingénus, une émotion agréable et passagère dont on se défait en comprenant l'objet qui l'a provoquée ou en revenant aux choses sérieuses, je vous invite à penser qu'il n'y a rien de plus adulte ni de plus sérieux que de s'émerveiller. L'émerveillement nous échappe et il doit nous échapper, il nous oblige à recommencer toujours, à se retrouver sans cesse au commencement.”

Michael Edwards, De l'émerveillement — 


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