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Tous analphabètes ?

Par Adrien Tallent, César Lacombe - 10 juillet 2019
Illustration par Anaïs Lacombe

Hello world ! Coder ou écrire ? Futurologues à vos prédictions. Devrons-nous demain pour survivre et ne pas devenir les nouveaux prolétaires du XXIème siècle connaître le code ? La question tambourine : enjeu politique, enjeu technologique, enjeu géopolitique… la liste pourrait être longue mais la tension est présente. Le code sera-t-il, oui ou non, la langue de demain ? 

UNE LANGUE SPECIALE

Les nouveaux temples du digital que peuvent être les écoles comme 42 et consorts sont-elles les matrices de l’élite de demain ? Où il s’agirait alors de ne pas laisser filer la chance, et de former des millions de petits codeurs, doigts au clavier, prêts à envahir et dominer le monde. Le succès de L'école 42 fondée par Xavier Niel est à ce titre, éloquent. Après une première implantation en France, la deuxième école 42 a même été implantée au coeur de la Silicon Valley, en Californie. L’école 42 serait-elle une école de langue étrangère ?

Le débat fait rage aujourd’hui. Tout ce qui se code va prendre de plus en plus de place dans nos vies, et la question de savoir qui sera l’architecte de ces objets magiques défoule les passions. Car de tout temps, la maîtrise de la langue a été un point discriminant entre ceux qui savent, les puissants, et les autres. Il suffit de penser à la Renaissance et au mouvement humaniste qui trouve sa source dans la redécouverte des textes antiques - grecs et latins notamment - et qui chamboule le jeu politique. Sommes-nous encore une fois à l’aube d’un bouleversement majeur qui verrait l’apprentissage du code comme une condition nécessaire pour briller dans le monde de demain ? 


Une différence peut-être, les langues nous servent à communiquer avec des êtres de chair et de sang, le code nous sert à programmer des êtres de silicium. Et jamais dans l’histoire, la communication avec les machines n’a été aussi technique qu’elle l’est aujourd’hui, et nos engins numériques sont devenus tellement complexes qu’il nous faut désormais un langage pour les faire fonctionner. Qui plus est, il ne faut pas un langage, mais des dizaines, voir centaines de langages : C++, Java, Python, HTML, Pascal, Ruby… la liste n’en finit pas. Il faut néanmoins préciser que nous avons nous-mêmes créé ces langages dans le but de communiquer avec les machines. 

On peut même se demander si ce langage fait d’une succession de commandes adressées aux machines ou de transmission d’informations sous forme de code ne serait pas le langage parfait dont rêvaient les membres du Cercle de Vienne qui cherchaient à établir un isomorphisme entre langage, logique et monde et ainsi réformer le langage en le formalisant afin que celui-ci décrive le monde de manière objective. Selon eux, le problème majeur posé par notre langage actuel est l’existence au quotidien d’énoncés non vérifiables empiriquement. Dès lors, le code semble rejoindre leurs rêves les plus fous. Ce langage assez spécial ne décrit rien d’autre que ce qu’il se passe dans une machine donnée en lui donnant des informations ou des commandes précises à réaliser. Et s’il existe une multitude de langages informatiques, comme sur notre bonne vieille planète en fin de compte où des milliers de langues cohabitent, concernant le code, tous se réfèrent à une langue universelle : le langage machine. L’unité absolue, la logique pure, faite de 0 et de 1, de vrai ou de faux. 

La philosophie ou la poésie en code, ce n’est donc pas pour tout de suite. 

LANGUE COMME FACTEUR DE DISCRIMINATION
Néanmoins, force est de constater que le “code” est une nouvelle forme de langage. De tout temps, la langue a été et est toujours un important facteur de discrimination. De manière assez évidente être analphabète aujourd’hui est un handicap presque insurmontable. Mais la discrimination s’insinue aussi au niveau de la maîtrise de la langue, de l’étendue du vocabulaire que l’on maîtrise et utilise. Ainsi, si le dictionnaire Le Petit Robert dénombre pas moins de 60 000 mots dans la langue française, on estime qu’en moyenne, les français n’en utilisent que 5 000. Ce chiffre varie ainsi selon l’âge, le niveau culturel, la catégorie sociale et peut donc fortement fluctuer entre deux personnes. 
Si la maîtrise de sa langue natale varie d’une personne à une autre et peut donc être un facteur largement discriminant, il est aussi clair que la maîtrise ou non d’une langue étrangère l’est tout autant. Ainsi, savoir parler plusieurs langues est évidemment un atout énorme à l’heure de la mondialisation et de l’interconnexion des cultures et des peuples. Ne pas avoir besoin des traductions pour comprendre un film, un article ou tout simplement une information est un atout certain. De même que pouvoir s’exprimer dans une langue autre que sa langue maternelle. 
Force est de constater qu’en fin de compte, le langage a toujours été, et est toujours un énorme facteur de discrimination.

Dès lors, peut-on en dire autant du “code” ? Il est clair que savoir coder aujourd’hui représente un avantage pour un certain nombre de métiers ainsi que pour sa culture personnelle. 
SAVOIR CODER POUR DOMINER
Savoir coder, comprendre ce qui se cache derrière telle ou telle ligne de code de sites internets ou de services que nous utilisons tous les jours est un atout indéniable et fait fantasmer. Ceux qui connaissent le code et encore plus ceux qui codent directement les outils de notre quotidien numérique ont une longueur d’avance sur le reste de la population qui a dès lors besoin d’interprètes, d’intermédiaires leur permettant de comprendre la chose ou de coder de manière indirecte afin d’eux aussi devenir des créateurs de l’économie 3.0. C’est le cas de tous les outils destinés à la création de sites web. Plus besoin de coder chaque page, désormais des logiciels servent d’intermédiaires sur lesquels nous n’avons qu’à bouger des cases, des blocs et créer le site web de nos rêves en quelques minutes. 
Le paradoxe des innovations technologiques est qu’elles sont aussi faciles à utiliser que difficiles à concevoir. Qui a conscience de la complexité technologique d’un ordinateur ou d’un smartphone lorsqu’il l’utilise ? Pas grand monde. La plupart des gens ne savent pas comment marchent tous les objets qu’ils utilisent au quotidien et ne se posent même pas cette question. L’interface utilisateur est si intuitive - il suffit de voir un enfant utiliser un iPad pour se rendre compte que ces outils font appel à l’inné - que l’on n’imagine pas tout ce qui se cache derrière. On peut alors avoir la sensation de perdre le contrôle sur nos vies. 

Car l’enjeu en fin de compte est qu’on traite là d’un savoir, qui prend de plus en plus de place dans nos vies, qui devient omniprésent, et qui aujourd’hui tend à façonner le monde de demain. Et plus le numérique continuera de se développer, plus le pouvoir qu’il pourra potentiellement procurer grandira. D’autant plus que voyant sa complexité grandissante, le numérique se développe comme une boîte noire pour la plupart des individus, et tout le chemin que parcours l’information, le fonctionnement de nos réseaux devient un secret de fait. Cela tend à développer un rapport magique face à ces technologies, où tout se passe sans que l’on en voit les rouages, ce qui est de l’ordre du divin habituellement. L’apparente logique implacable de ces technologies, faite de 0 et de 1 se montre comme drapée d’un voile opaque où les imaginaires les plus fous prennent leur source. On peut voir alors émerger les fantasmes du codeur tout puissant, qui serait l’architecte de ce monde magique, et qui deviendrait de facto détenteur d’un pouvoir incommensurable, 

Mais gardons la tête froide, car cette vision du codeur tout puissant digne d’un film hollywoodien est tout de même défiée par la réalité qui voit plutôt à l’oeuvre du travail d’équipe, et beaucoup de temps pour concrétiser des applications fantasmées. Car même pour les experts, la complexité du numérique est un frein et l’excellence prend du temps. Tout du moins, ce débat incessant révèle quand même quelque chose de notre humanité. Si le code devient cette nouvelle langue qu’il nous faut connaître pour ne pas être les laissés pour compte, alors les machines auront pris une place inédite dans notre histoire, et désormais, dialoguer avec elles serait quelque chose d’aussi important que de pouvoir dialoguer avec des êtres de chair et d’os. 

Qui sommes nous alors ? 

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